La nouvelle création de Ryan Murphy n'allait évidemment pas échapper à nos radars, ayant par ici suffisamment louer les vertus d'American Horror Story et de Scream Queens (au passage, deuxième saison sublime – et malheureusement probablement dernière, tant le show satirique est incompris, mais nous y reviendrons prochainement). Feud, donc. Querelle, in french. Soit la confrontation quasi-biblique qui opposa en 1962 deux monstres sacrés du cinéma, Bette Davis et Joan Crawford, sur le tournage du film de Robert Aldrich Qu'est-il arrivé à Baby Jane?. Une confrontation backstage qui vint nourrir évidemment le drame à l'écran – le film et la composition des deux actrices sont terrassants – et qui fut, plus ou moins savamment, alimentée par la production elle-même en un vaste plan de communication sournois et destructeur attaqué très tôt sur le tournage-même.


Mais c'est bien de bonne guerre et pleines d'enthousiasme que nos deux héroïnes se prêtèrent au jeu, multipliant les clashs, manœuvrant dans l'ombre comme explosant en public, utilisant chaque ligne d'une partition qu'elles connaissaient sur le bout des doigts, chaque code d'une représentation donnée avec l'énergie du désespoir. Le désespoir d'actrices vieillissantes, en mal de rôles, l'une – Crawford – piégée dans une cage à l'or défraîchie, l'autre – Davis – cantonnée à quelques planches grinçantes de Broadway. Et si cette querelle en titre ne concernait pas tant ces deux actrices que la Femme et Hollywood – et par là-même le grand Roman National que les studios inscrivaient sur les écrans de l'Âge d'Or, entre révision fantasmée du mythe des pionniers et exaltation de cet idéal de vie vertueux cher à l'Oncle Sam ? Le show ne semble pas vouloir trancher, assurant son lot de scènes tendues où le suspens naît de l'explosion attendue, tout en orchestrant une narration rétrospective qui vient malicieusement ponctuer la trame principale de commentaires parfois contradictoires et interrogeant notre époque-même.

Nous sommes en 1978. Pour les besoins d'un documentaire - fictif - dont l'équipe de tournage ne sait pas encore bien s'il portera exclusivement sur la relation tumultueuse de Davis et Crawford ou la place de la Femme à Hollywood, on interviewe, parfois séparément, parfois ensemble, deux grandes actrices du circuit impérial, Joan Blondell et Olivia De Havilland. Deux actrices ayant bien connus les deux monstres sacrés, ponctuant ainsi le récit principal de leurs interprétations, de leurs points de vue. Le choix de 1978 comme date de rétrospection n'est certainement pas innocent : en 1978, le Nouvel Hollywood ne le sait pas encore, mais la chute est déjà entamée, son acmé derrière lui. Coppola a certes braqué le box-office avec ses Parrains mais il est parti dans la jungle brûler au napalm ses bénéfices pharaoniques sur Apocalypse Now; Cimino triomphe certes avec Voyage au bout de l'enfer mais s'apprête à ruiner quasiment à lui seul le système complet avec sa sublime et cruelle Porte du Paradis; Scorsese, auréolé du succès de Taxi Driver, est quant à lui devenu fou sur le tournage de New York, New York, avec un beau plantage en bout de course; et des figures plus conciliantes et malléables telles que Spielberg et Lucas jouent aux élèves modèles. Bref, le cadavre du vieil Hollywood, qui était devenu un beau merdier gorgé d'une sacrée fougue créative, reprend des couleurs en coulisse.


On sait, en 2017, comment Hollywood récupéra les rênes du pouvoir dans les années 80, laissant ses enfants terribles cramer leurs cartouches avant de les marginaliser, en figure paternaliste volontiers rancunière. On sait, en 2017, combien tant la représentation des femmes - devant comme derrière l'écran - que la représentation des minorités – ethniques et sexuelles – reste problématique. Avec sa double reconstitution - celle d'un acte fondateur, le tournage du film d'Aldrich en 1962 et celle, presque mélancolique, d'une introspection en 1978, Feud interroge bien notre époque en demandant au spectateur presque continuellement "au fond, qu'est-ce qui a vraiment changé en cinquante ans ?". La douleur sacrificielle qui écume de la relation Davis-Crawford broie la gorge d'émotion souvent, goûtant toujours plus au sombre gâchis que l'on connaît. Certes, le septième art gagna au passage un chef d’œuvre branque, mais le désastre humain est là; le spectacle de destruction, massif.

Mais le show ne se contente pas – et là réside sa principale qualité – de ce jeu de massacre en règle, non. La beauté du geste de Murphy et de son équipe est de conserver une humanité palpable à ces deux monstres – dans tous les sens du terme. Cruelles, machiavéliques, Bette et Joan n'en restent pas moins des êtres humains reniflant leurs larmes dans l'obscurité des salles de projection, des femmes écrasées par l'amour et le respect qu'elles ne peuvent se donner, étouffées de fierté ravalée, se trompant de cibles à cause de cette douleur qui les aveuglent. Et s'il faut désigner un coupable au sinistre, c'est bien le systèmes des studios – ici personnifié par un Stanley Tucci idéal de roublardise infâme en Jack Warner – qui méprise jusqu'à la fracture ceux qui le nourrissent et l'incarnent littéralement : les actrices, les acteurs.


Un dernier mot pour, justement, parler du casting. Comme souvent chez Murphy, il s'avère tout simplement parfait. Jessica Lange en Joan Crawford brille ainsi d'une rigueur toute en frémissements, visage marmoréen qui se fissure fugacement, façade figée que l'on découvre fragile dans le coin d'un plan, des éclairs et des larmes de colère dans les yeux. Et Susan Sarandon... Sa Bette Davis est telle que l'on s'imagine l'originale, clope au bec, la vanne facile limite vulgaire (mention spéciale aux papillons sortant du cul dans le deuxième épisode) en protection perpétuelle, animal sauvage et beau toutes griffes dehors devant les autres, mais tellement chancelante d'épuisement morale lorsque elle se retrouve – souvent – seule. Leur duo confine à l'alchimie pure et simple, soit une science connue d'elles-seules, indescriptible et incompréhensible pour le commun des mortels et Hollywood, évidemment. Finalement le plus bel hommage que l'on pouvait rendre à deux monstres sacrées du cinéma qui se seront toujours battus pour vivre leur art, pour vivre leur vie.


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Dimanche 23 avril 2017 - carnet de bord du capitaine.

Pas facile de garder un semblant de joie de vivre dans le marasme actuel, malgré les élans solaires qui viennent darder notre peau tanée par les vents cosmiques. L'autostoppeur de l'infini poursuit sa route dans l'adversité crasse des turpitudes terrestres, le regard (et les conduits auditifs) toujours tourné vers un horizon loin de la gravité des évènements.  Ce qui ne veut pas dire que nous sommes déconnectés du théâtre humain, non, plutôt détachés de ces élans réactionnaires qui vouent aux gémonies la moindre tentative de recul. La tête dans le guidon de mon incertitude, je fonce. Oh ma Gazoline, sens-tu venir le looping?

Un petit arrêt au restaurant avant la fin du monde.

Deuxième adaptation du manga de Kazumasa Hirai (après une production Toho en 1973), ce Wolf Guy échappé des studios de la Toei est un de ces objets pop dont le Japon a le secret, une arme de distraction massive s'aventurant aux confins du politiquement correct histoire de réveiller quelques rires francs et enfantins. Où l'innocence refleurit sur le tas de fumier des turpitudes adultes.

Le roi Kong est de retour avec une pure série B d'aventure fantasy qui expose à chacun de ses photogrammes ses limites, mais réussit pourtant à conserver quelques charmes. Charmes qui vaut bien un article ici-même, le blog ayant une affection particulière pour ce gros mythe poilu survivant à chaque fois aux mauvais traitements qu'il subit, que ce soit face caméra comme en coulisses.

En célébration du renouveau printanier, double ration de son pour les esgourdes curieuses. Au programme de ce double bill, un nouvel épisode de l'autostoppeur de l'infini, Hitchhike to a bigger world, escapade foncièrement aventureuse aux confins de mondes étranges, et Tutti i colori del nuovo disco, sélection, choisie dans la plus grande décontraction, de ce qui nous fait danser gaiement par ici.

Hitchhike to a bigger world, pour commencer.

Nous évoquions précédemment le tournage de Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? comme un acte fondateur. L'expression est sans nul doute grandiloquente mais pas sans fondement. Le fondement d'une fronde qui mènera au Nouvel Hollywood des années 70, l'acte qui cristallise les luttes intestines entre cadres hollywoodiens : acteurs, réalisateurs et producteurs, tous à s'écharper sur le même bûcher, mais pas pour les mêmes raisons (si ce n'est certaines vanités partagées).

La nouvelle création de Ryan Murphy n'allait évidemment pas échapper à nos radars, ayant par ici suffisamment louer les vertus d'American Horror Story et de Scream Queens (au passage, deuxième saison sublime – et malheureusement probablement dernière, tant le show satirique est incompris, mais nous y reviendrons prochainement). Feud, donc. Querelle, in french.

Apnée est le premier long métrage des Chiens de Navarre, pour faire court. Les Chiens de Navarre, c'est au commencement, sur scène (the world is a stage), une troupe libertaire et explosive, prosélytes du spectacle qui explose à la gueule du spectateur en grenade dégoupillée farceuse. Mais si le théâtre, c'est du cinéma (pour rester dans l'image), le cinéma, ce n'est pas forcément du théâtre.

Triste anniversaire s'il en est, celui du jour où l'enfer se déchainait sur terre, plus précisément sur les côtes japonaises, en enchainement catastrophique. Tout commença le 11 mars 2011 par un tremblement de terre, d'une magnitude 9,0, survenu au large des côtes nord-est de l'île de Honshū. Cela se poursuivit par un tsunami dont les vagues atteignèrent une hauteur estimée à plus de 30 mètres par endroits.

S'il est un réalisateur qui sait, à partir du découpage simple et lisible d'une scène de quotidien ordinaire, distiller une angoisse sourde, c'est bien Kiyoshi Kurosawa. Son récent Creepy, conte cruel de dé-inviduation où un ogre moderne vient manipuler et détruire des cellules familiales de l'intérieur, fourmille de ces instants saisissant le spectateur à la gorge par surprise, sans pour autant jouer d'artifices spectaculaires. Exemple avec une courte scène de repas complètement anxiogène.

Avec un peu de retard, on vous livre les nouvelles aventures de l'auto-stoppeur de l'infini, direction cette fois un système planétaire qui aura fait l'actualité terrestre ces dernières semaines, Trappist-1.
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